Six mois à Toronto !

03 janvier 2021

Nous voilà en 2021 ! Je me souviens encore de l'article écrit en janvier 2020. On devait prendre l'avion le 30 mars, avec deux grosses valises seulement, et le reste suivrait. On n'avait pas de solution de logement, on avait encore toutes nos affaires à vendre ou à donner, on devait trouver une compagnie de déménagement pour ce qu'on souhaitait se faire envoyer à Toronto... Bref, nous n'étions pas tout à fait prêts mais nous étions hyper confiants et excités. Et puis le 17 mars, alors qu'on avait trouvé un logement, un déménageur et qu'on n'avait "plus qu'à" vider et rendre notre maison, il est devenu évident qu'on ne partirait pas le 30. Ont suivi un confinement, un double déménagement, des squats chez les parents et finalement, notre arrivée le 1er juillet 2020 à Toronto.

Cet article n'est toujours pas un bilan, d'une part parce que 6 mois, c'est toujours trop peu pour parler de bilan, d'autre part parce que la pandémie modifie tout, y compris la perception du temps. Le monde entier a été à l'arrêt une bonne partie de l'année et cette impression que le temps est figé jusqu'à une date indéterminée ne permet pas vraiment de faire des bilans et des comparaisons. Je vais quand même essayer :-D En reprenant les points souvent cités comme problématique dans les bilans des autres.

Intégration économique

J'ai déjà pas mal parlé du boulot dans les articles précédents. C'est très souvent un point noir dans les bilans des immigrés et PVTistes et ça peut être alarmant quand on lit les blogs et les témoignages. J'ai envie de contrebalancer un peu ça, parce que pour nous ça se passe très bien.

Un job dans ma branche... et un full-time contract

Pour rappel, j'ai trouvé au bout de trois mois de recherche intensive un emploi dans ma branche, payé correctement. En fait, très bien payé de mon point de vue. Faut dire que je m'étais habituée aux salaires de contractuel.le de la fonction publique (entre 1500 et 1800 euros nets après 8 ans d'études... booon) et que mon premier emploi dans le privé était déjà un bond énorme à mes yeux... Et ici je suis encore plus payée haha, donc même si ça ne correspond "qu'au" salaire médian canadien, pour moi c'est très très bien. Le but de venir au Canada n'était pas de nous enrichir grassement mais de vivre confortablement, et de ce point de vue tout va bien. Cerise sur le gâteau, juste avant de partir en vacances, mon boss m'a offert de transformer mon contrat de 12 mois en contrat full-time, l'équivalent d'un CDI. J'ai accepté :-D

J'ai accepté, parce que tout se passe bien, l'ambiance est globalement bonne et mon manager est excellent. Honnêtement, je ne retrouve pas les défaults ou les difficultés culturelles décrites par d'autres. Un aspect qui m'inquiétait particulièrement était le côté "tout le monde est gentil, jusqu'au moment où on te poignarde dans le dos". Personne ne m'a poignardée pour l'instant, ouf ! Mais au-delà de ça, je trouve qu'on se dit les choses quand ça ne va pas, qu'on a des réunions d'équipe plutôt saines et que tout le monde y met du sien pour aller de l'avant. Est-ce que ça tient au milieu de la construction (et pas du digital marketing, de la com ou de la banque) ? Aux qualités de leadership de mon chef ? Est-ce que je suis totalement imperméables aux variations émotionnelles des gens ? Est-ce qu'on a exagéré le côté hypocrites au travail des Canadiens ? Un peu de tout ça ? Je ne sais pas, mais tant que ça me convient, je vais pas faire la fine bouche.

Job alimentaire... et après ?

Mathieu avait trouvé beaucoup plus rapidement que moi un job de barback (assistant barman), qui s'est transformé au bout de deux mois en bartender. Il a rencontré des gens d'un peu tous les âges et toutes les origines et en a profité pour devenir beaucoup plus à l'aise en anglais. Seulement... Le 8 octobre, les intérieurs des bars et restaurants, qui avaient brièvement rouvert, se referment. Et ils ne rouvriront pas. Les terrasses, aménagées à la hâte pour être chauffées, restent ouvertes, mais le 23 novembre, c'est un nouveau confinement total pour l'Ontario, tous les commerces non-essentiels ferment. Autant dire que pour un bartender... les perspectives d'avenir ne sont pas brillantes.
Par ailleurs, il commençait à lancer son activité de photographe (pour voir plein de photos de beaux endroits et de belles personnes, c'est ici) mais forcément, quand on est confiné, que tout le monde porte un masque et qu'il faut garder un caribou de distance entre deux personnes, les sessions portraits sont un peu compromises.

Le côté positif c'est que de toute façon il ne comptait pas faire ça toute sa vie, mais que c'est toujours difficile de s'en aller une fois qu'on est installé dans un boulot. Au moins, là la coupure est nette. Il va donc se consacrer maintenant à chercher quelque chose qui lui corresponde plus et où il puisse mettre son cerveau plus au boulot. Et puis si le bar lui manque, il pourra toujours faire des cocktails à la maison, pas de problème !

En gros, niveau boulot, mes grandes peurs (ne pas trouver, devoir passer obligatoirement par une expérience en centre d'appels, ne pas m'adapter du tout à la culture canadienne) sont apaisées. Pour moi, cette immigration est pour l'instant une grande réussite du point de vue économique et professionnel. Pour Mathieu, c'est un peu plus incertain, aussi du fait de la pandémie, mais on s'y attendait de toute façon donc ce n'est pas un énorme choc. Il y a certainement une part de chance, mais ça montre qu'on ne s'est pas trop trompé dans notre préparation non plus.

Intégration sociale

Tout avait pourtant bien démarré... Mathieu sympathisait petit à petit avec ses collègues de boulot, on bénévolait sur le marché fermier en bas de chez nous, on était allé faire un peu de hand et un peu de surf à Woodbine Beach... Et puis la petite fenêtre d'opportunité de l'été s'est refermée avec la hausse des cas de Covid en Ontario et le reconfinement. Depuis novembre, on ne voit du coup plus beaucoup de gens, et le petit monde qu'on commençait gentiment à créer s'est un peu délité. Tout le monde l'a constaté pendant le premier confinement, même avec les amis proches, quand on ne peut faire que des apéros en visio et pas vraiment "faire" des choses ensemble, c'est pas facile de garder du lien. Alors avec des personnes qu'on commence tout juste à connaître... Ceci dit, on a vraiment l'impression que c'est lié à la pandémie. Une fois encore, les articles que j'avais pu lire étaient assez peu engageants sur le sujet. Beaucoup décrivaient les Canadiens comme aimables, mais pas amicaux, on va dire. Souriants, agréables, mais rien de plus : pas d'invitation à dîner ou même boire un coup, relations uniquement professionnelles avec les collègues... Ce n'est pas du tout l'impression qu'on a eue... enfin presque pas !

Les Canadiens sont-ils fermés aux nouveaux arrivants ?

Effectivement, compter sur les collègues de travail pour se faire un nouveau cercle d'amis n'est pas le bon plan du siècle. De mon côté, beaucoup habitent loin (Etobicoke, Mississauga, voire carrément Hamilton) et ont une famille qui les occupe largement assez. Du côté de Mathieu, il avait pu nouer plus de liens parce que déjà, ça se fait un peu plus dans la restauration de sortir avec l'équipe après un service, et puis les gens étaient plus jeunes et souvent étudiants et/ou étrangers, créant un climat plus propice à la rencontre. Depuis qu'il ne travaille plus, les contacts se sont énormément réduits. De manière générale, on a l'impression que les relations restent superficielles avec les collègues, à moins d'être dans une petite équipe locale et très soudée peut-être, ou alors de vraiment partager des intérêts communs.

Pour autant, dès qu'on sort du professionnel et qu'on rejoint des groupes et/ou des associations, le contact devient plus facile. Le bénévolat au marché nous a vraiment profité. On a fait quelques apéros, on prend des nouvelles régulièrement et on se reverra avec plaisir euh... quand on aura le droit. Idem pour les surfeurs et surfeuses des Grands Lacs, qui forment une communauté très soudée mais aussi très accueillante. Plusieurs personnes ont pris contact avec moi, se sont proposées pour me prêter du matériel ou même covoiturer, au moment où partager une voiture avec un.e inconnu.e n'était pas encore une idée complètement irresponsable T.T Enfin, la musique, qui devait être un autre bon facteur d'intégration* est un peu au point mort, on avait trouvé un batteur mais le covid a fait fermer les salles de répètes et douché les enthousiasmes. Si la vie reprend un cours un peu plus normal, on a donc bon espoir de continuer à sympathiser avec des gens d'ici et d'ailleurs.

* Peut-on ne pas être potes quand on joue dans le même groupe ? Je ne crois pas, sauf divergences musicales irréconciliables et/ou gloire, argent et problèmes d'ego associés (on n'en est pas là).

Pour conclure là-dessus, oui, les Canadiens sont un peu plus adeptes du ghosting (cesser de répondre aux messages et disparaître du radar pour réapparaître des jours plus tard... ou pas du tout) que les Français et oui, la plupart des collègues de bureau entre 25 et 50 ans ont déjà une vie bien sur des rails et pas une envie folle d'y changer quoi que ce soit. Mais Toronto est une ville composée à plus de 50% d'immigrants, donc de gens comme nous qui cherchent aussi à faire des rencontres et, comme partout, il est plus facile de se lier avec des personnes avec qui on partage une passion, un hobby. Alors ne soyez pas timide, n'attendez pas qu'on vienne à vous et allez vers les autres !

Et la vie de tous les jours ?

La vie est cool ! Et on arrive à penser ça alors qu'on est arrivé le 1er juillet, c'est-à-dire à temps pour profiter de trois mois de terrasses et 6 semaines d'ouverture des salles des restos... et pour les voir se refermer en septembre, puis se reconfiner en novembre. Bien sûr, on est un peu déçu quand on remonte Parliament et qu'on voit tous ces petits bars et restos qui, en temps normal, nous tendraient les bras. Bien sûr, ça nous démange de refaire de la musique (et même de revoir un concert ! Le dernier remonte à janvier 2020 !) et bien sûr, on aimerait beaucoup pouvoir partir en road trip et découvrir notre pays d'adoption. C'est sûr.

Mais on kiffe tous les jours la gentillesse des gens, la vue sur les gratte-ciels de ouf, les balades dans les parcs et au bord du lac, les jolies petites rues avec les maisons qui te font croire que t'es dans un film américain, les gens complètement dingues de leurs toutous, les anecdotes de ratons-laveurs qui font n'importe quoi, les petits écureuils à tous les coins de rue, les restos à emporter de tous les pays du monde, l'empathie et la tolérance envers les gens dits "différents" (quelle que soit leur différence), la neige (même si les Canadiens ne comprennent pas cet enthousiasme haha), le mélange des langues qu'on entend dans la rue... C'est tout ça le Canada pour nous, pandémie ou pas pandémie ! Et le fait d'avoir la résidence permanente, un salaire qui nous suffit et un appart à nous nous permet de patienter, de nous dire qu'on est là pour longtemps et qu'on finira bien par pouvoir retourner bruncher chez Figs, boire une bière au John 3, se gaver de dumplings à Chinatown, et par tester le Tilted Dog, le Houses of Parliament, un concert au Bovine Sex Club (oui oui)... etc. Patience patience, et profitons de ce qu'on a déjà :)

En résumé donc, notre intégration en six mois est meilleure que ce à quoi on s'attendait, et ce malgré la pandémie. Il faut dire qu'on s'était préparé à galérer vraiment beaucoup, pour être sûr de ne pas être déçu. S'imaginer le pire pour se réjouir ensuite est un truc pour lequel on n'est pas mauvais. La pandémie et le confinement ne nous ont pas vraiment aidés, mais pas excessivement gênés non plus - sauf pour Mathieu qui a perdu son boulot, bien sûr, mais le mien n'est pas menacé et nous permet de bien vivre. Et d'ailleurs, tous les événements de cette année ont peut-être contribué à adoucir la séparation d'avec nos familles et nos ami.e.s : on ne se serait de toute façon pas plus vus si on était resté en France ! Bien sûr, au bout d'un moment, la distance se fera sûrement sentir, mais pour l'instant, ça va très bien.

Pour terminer, on vous souhaite une très bonne année ! Et on croise les doigts bien fort pour tou.te.s celles et ceux qui galèrent dans leurs démarchent, ou ont tout soumis et attendent patiemment leur PPR. Courage !

PS : je me connecte au XXIème siècle et tente de devenir influenceuse, j'ai donc créé une page Instagram histoire de vous donner de belles choses à voir en plus de trucs longs à lire. L'idée est d'en faire un relais des nouveaux articles qui paraissent ici, de vous permettre de poser des questions plus facilement... et de vous montrer un quotidien honnête et réaliste de la vie à Toronto. Je crois que c'est foutu d'avance pour mon futur d'influenceuse, du coup.