Première expérimentation du système de santé en Ontario

12 août 2020

Voilà un article que j'avais prévu de vous écrire un peu plus tard, je m'attendais pas à pouvoir le faire aussi vite après notre arrivée. Voilà comment je me suis retrouvée dans la même journée à expérimenter Service Ontario, les Urgences, la pharmacie et l'assurance privée (!!).

Sommaire

  1. Le fonctionnement du système de santé pour les résidents permanents
  2. Allô Maman Bobo : j'ai mal, je vais où ?
  3. Obtenir la carte OHIP
  4. Une consultation aux Urgences, comment ça se passe ?
  5. Dernière étape : la pharmacie
  6. Bonus : le remboursement (?) par l'assurance

Le fonctionnement du système de santé pour les résidents permanents

Un peu de contexte : le Canada propose une couverture santé universelle pour ses résidents (ceux qui reste plus de 3 mois sur le territoire). Cette couverture est gérée par chaque province selon les mêmes principes. En Ontario, il s'agit de l'OHIP : Ontario Health Insurance Plan. Couverture universelle, ça veut dire que tout le monde y a droit... Pas qu'elle couvre tout. Contrairement à la Sécurité Sociale française, le dentaire et l'optique ne sont pas pris en compte, pas plus que la plupart des achats de médicaments. Pour ça, il vous faudra une mutuelle privée. Comme en France, vous pouvez en choisir une à titre privé, ou souscrire à celle de votre travail. À ce propos, vérifiez bien ça lorsque vous êtes embauché.e  la qualité d'une mutuelle (les "benefits") est à considérer au même titre que le salaire.

En temps normal, il y a un délai de carence de trois mois pour l'obtention de la couverture santé, ce qui vous oblige à souscrire à une assurance privée - article à venir - pour couvrir ce délai. Oblige, c'est pas le mot. Vous pouvez vous en passer. Par contre, s'il vous arrive quelque chose entre le jour 1 et le jour 90, vous payerez tout de votre poche. Quand on sait qu'une bête consultation aux Urgences coûte entre 500 et 1000 $CAD... ça fait réfléchir. Du fait du coronavirus, cette carence de trois mois a été levée et vous pouvez désormais obtenir la couverture santé dès votre arrivée. C'est assez simple - toujours en théorie - il vous suffit de vous rendre dans un centre Service Ontario (qui ressemble un peu à nos préfectures enfin... feu nos préfectures n'est-ce pas...) et demander votre inscription.

Sur le papier, c'est pas mal, ç'a l'air simple. Qu'en est-il en réalité ? Par un souci d'information de mes lecteurs, je me suis fait un devoir de me blesser trois semaines après la fin de notre quarantaine. Le journalisme, c'est ça aussi ! Oui madame, oui monsieur ! Les gens qui me connaissent vous diraient que c'est un peu une habitude chez moi (les blessures bêtes, le journalisme pas tellement*) mais quand même, là j'ai fait fort. Alors voilà comment ça se passe en vrai.

* Attention, j'ai quand même écrit quelques articles de qualité en 1998 pour Le Crocolire, journal de l'école des Terre-Neuvas. Je me souviens d'une fiche explicative (déjà !) sur la déchetterie du coin qui avait marché fort. Eh ouais.

Allô Maman Bobo : j'ai mal, je vais où ?

Un dimanche de bon matin, je me rends compte que mon pouce droit, le coquin, refuse de se plier. Ça fait pas mal, juste, ça ne plie plus. Weird. Lundi matin*, pareil sauf que là ça commence à bien me lancer quand même. C'est curieux, j'ai rien fait de spécial, je me souviens pas d'avoir eu un choc, une torsion, un truc qui expliquerait un peu. Dans le doute, je strappe en me disant que, balaise comme je suis, je suis capable d'avoir dormi sur mon pouce et de l'avoir tordu. Je strappe mais ça passe pas et mardi matin* il faut se rendre à l'évidence : il va falloir que je montre mon moignon à quelqu'un.

* LE ROI, SA FEMME ET LE P'TIT PRIIINCE, SONT VENUS CHEZ MOIIIII, POUR ME SERRER LA PIIIINCE. Excusez-moi. C'est un réflexe.

Je pose la question sur le toujours secourable groupe Facebook des PVTistes à Toronto  vers qui me tourner ? Certains me conseillent des walk-in clinics (cliniques sans rendez-vous), dont une où on pourra me faire une radio (à ce stade, je pense que le problème est mécanique, tordu ou cassé). D'autres me suggèrent de me rendre directement aux Urgences où on pourra me faire tous les examents nécessaires directement... Sous réserve d'attendre peut-être plus longtemps. En même temps, avec le virus, les habituels hypocondriaques évitent pas mal les Urgences (tant mieux) et ceux qui viennent se faire tester sont accueillis dans une autre partie de l'hôpital. C'est décidé : avec mon histoire de fracture-en-dormant, je préfère avoir la possibilité de faire plusieurs tests, ce seront donc les Urgences, de Saint Michaels parce que quand on a terrassé un dragon, on peut gérer un pouce. Aussi parce que c'est plus près.

Obtenir la carte OHIP

Comme dit plus haut, avant qu'on parte, on ne savait pas que la carence de trois mois avait été supprimée donc on avait souscrit à une assurance temporaire. Du coup, on avait un peu repoussé notre inscription à l'OHIP en se disant qu'on avait quelques semaines devant nous pour le faire. Donc normalement, nos frais de santé sont couverts par cette assurance. Oui, mais... en remboursement, pas en avance. Moyennant sans doute l'envoi de 15 kg de papiers en triple exemplaire. Du coup, on se dit que tiens, ce serait peut-être l'occasion de la faire, cette fameuse inscription. Il faut aller dans un centre Service Ontario. C'est cool, il y en a un tout près de chez nous. C'est là où le savoir collectif du groupe facebook est quelque chose de fabuleux : dans la conversation, quelqu'un mentionne qu'en tant que PVTiste, elle a été obligée de se rendre dans un centre spécifique pour son inscription. Je lui réponds que, merci mais on est RP... mais je vérifie quand même. Je fais bien : sur tout Toronto, seuls quatre centres s'occupent des inscriptions pour les non-citoyens, donc ça concerne aussi bien les PVTistes que les RP.

Afin que vous n'alliez pas courir partout et que vous évitiez de faire comme moi, c'est à dire regardez les sites de TOUS les centres de Toronto pour voir s'ils sont OK, voilà ceux où vous pouvez vous rendre pour obtenir votre carte OHIP si vous êtes RP ou PVTiste :

  • Bay & College (Downtown, le plus centré) ;
  • 47 avenue Sheppard East (Sheppard & Doris, North York) ;
  • Cedarbrae Mall, 3495, avenue Lawrence est (Scarborough) ;
  • Centre financier Sun Life, 3300, rue Bloor ouest (Bloor & Islington, Etobicoke).
Comme ils sont pas trop idiots, il y en a un au centre, un au Nord, un à l'Ouest et un à l'Est (au Sud rien mais c'est normal, c'est dans l'eau).

Nous voilà partis pour celui de Bay & College. C'est beau, c'est grand, c'est silencieux et il y a des gens qui attendent sagement. On pourrait demander à être servis en français mais comme on veut se la péter grave (et aussi attendre moins longtemps), on prend l'anglais. Au bout de même pas 10 minutes, on est appelé*. Normalement il faut trois documents pour s'inscrire : une preuve de notre statut au Canada = notre Confirmation de Résidence Permanente ou notre carte si on l'avait reçue ; un justificatif de résidence = notre contrat de bail (lease agrement, si vous ne voulez pas bafouiller "rental contract" comme moi...) ; et une preuve avec photo de notre identité = nos passeports français. Ces trois documents ne peuvent pas être utilisés deux fois : votre carte de RP ne peut servir qu'en preuve d'identité OU en preuve de statut, par exemple. Bon là la dame n'a pas jeté un seul oeil à nos passeports... Elle nous a demandé le formulaire de demande d'inscription, qu'on avait imprimé et rempli chez nous (sinon on l'aurait fait sur place). On nous prend en photo via un appareil automatique qui est posé là, on nous fait signer sans déborder du cadre hein (ç'a beau être plus efficace qu'en France, c'est quand même une administration...) et hop, notre demande d'inscription est faite. On recevra nos cartes d'ici six semaines, en attendant on a un papier-qu'il-faut-pas-perdre qui fait office de justificatif provisoire. C'est parti pour l'étape suivante : les Urgences ! Ouaaais !

* C'était vraiment hyper rapide, ça ne veut pas dire que c'est toujours le cas même si du fait du virus, plein de démarches s'effectuent maintenant en ligne, ce qui fait qu'assez peu de gens doivent se rendre sur place.

Une consultation aux Urgences, comment ça se passe ?

Bon déjà faut trouver l'entrée. Ça nous prend un peu de temps mais on y arrive. Encore et toujours du fait du virus, les accompagnants ne sont pas autorisés, Mathieu ne pourra donc pas venir avec moi. Pour rentrer, on remplace mon masque en tissu pour un masque chirurgical et on me désinfecte les mains (super avec ma vieille bande de strap toute sale). Passage au guichet pour la création de mon dossier, les questions habituelles : vous êtes déjà venu.e, date de naissance etc. Anglais + masques + paroi en plexiglas + stress de la douleur = capacité de communication maximale (non). Après avoir fait répéter la dame trois fois, on me dit d'aller attendre. Évidemment, j'attends pas au bon endroit et on me cherche partout, d'autant que personne ne sait prononcer mon prénom NI mon nom, donc je comprends pas que c'est moi qu'on appelle. Brreeeeeef, je vois un médecin pour le triage, qui me catégorise en urgence modérée. J'espère que ça veut dire que je ne vais pas attendre des heures *espoir* Ce coup-ci, j'attends au bon endroit, et après un vingtaine de minutes, j'ai mon petit interne, John. Jamais vu un médecin se présenter aux Urgences, encore moins par son prénom ! John, donc, est un peu interloqué par ce que je lui raconte. Faut dire que c'est dans ces moments-là qu'on réalise qu'on peut bien parler anglais, des fois, on ne sait pas dire "plier", "enflé", "entorse" ou "phalange" (bend, swollen, sprain, knuckle, hein, pour votre information, si si j'insiste, ça peut servir). Le seul truc qui me vient en tête, c'est Phoebe dans Friends qui dit qu'elle s'appelle Regina Phalange. C'est peu utile.

Tant bien que mal, on y arrive mais il ne voit pas trop pourquoi je peux pas plier mon pouce si je l'ai pas tordu ni cassé. Il appelle son collègue (Tom) et ils conviennent de faire une radio et puis quand même une prise de sang, parce que c'est bizarre tout ça, et qu'on peut pas faire une ponction sur un pouce, c'est trop petit. La radio est très vite faite et interprétée immédiatement (pas cassé ! Je le savais !), la prise de sang aussi, en fait le plus long c'est d'attendre que les résultats reviennent. Négatifs. Donc on sait pas. John & Tom penchent soit pour une crise de goutte (that's right, la maladie des hommes alcooliques) soit pour une infection qui d'après Tom arrive souvent aux toxicos qui se piquent n'importe comment. Me souviens pas m'être injectée de l'héro dans la deuxième phalange du pouce récemment,mais va savoir, cette quarantaine était vraiment très longue ! Bref, il me prescrit antibio (des fois que ce serait l'infection) et anti-inflammatoires (des fois que ce serait la goutte)... et me voilà dehors. J'y aurais passé "seulement" 3 heures, vraiment pas mal pour des Urgences de ville avec une radio et une prise de sang. J'ai montré mon beau papier tout neuf et j'ai rien payé du tout. Et tout le monde a été très gentil et très souriant. Vive Saint Michaels !

Dernière étape : la pharmacie

Je sors de là un peu ahurie, mon ordonnance à la main. Ici certains supermarchés font aussi pharmacies : Shoppers, Rexall et même No Frills peuvent vous filer vos médicaments. Déjà en soi c'est particulier, mais la façon de faire est aussi différente de la France. Il faut se pointer au bon guichet (drop off, pas pick-up). C'est la même personne mais elle me dit d'un air autoritaire d'aller à l'autre guichet, alors moi je fais comme on me dit. Je lui donne mon ordonnance, elle regarde et elle me dit : "OK. Dans 20 minutes". Alors celle-là je m'y attendais pas. Pourquoi 20 minutes pour un pauvre anti-inflammatoire et un antibiotique classique ? Parce qu'ici, ma bonne dame, au lieu de vous donner 3 boîtes de 24 d'un truc quand l'ordonnance dit : "3 cachets par jours pendant 4 jours", ils font l'appoint. Ils comptent scrupuleusement combien ça fait et ils vous mettent tout ça dans un petit flacon. Bon d'accord, ça prend peut-être pas 20 minutes de compter 12 cachets mais OK, je vois le principe. 20 minutes après, je reviens, je vais à l'autre guichet cette fois, le pick-up et... Je passe à la caisse. Et vous vous avez lu l'intro, vous savez que l'OHIP ne couvre pas trop les médicaments, mais moi je ne savais pas. C'est là qu'on réalise l'importance de la Sécurité Sociale et de la très faible "part complémentaire" qu'on paye parfois à la pharmacie. Parce que là c'est plein pot. Et c'est 50 $CAD. Pas la mort, mais en France ça m'aurait coûté entre rien et 1,56€ j'imagine, donc ça fait bizarre quand même.

Bonus : l'assurance

Habile, je me dis que j'ai certes la couverture OHIP maintenant, mais que peut-être l'assurance pourra me rembourser les 50 balles de médicaments. Alors il faut l'ordonnance - conservée par la pharmacie, le compte-rendu médical - jamais vu, jamais eu, et la facture - J'AI ! J'envoie ce que j'ai en précisant ce que je viens de vous dire. Réponse du médecin de l'assurance : il faudrait que je retourne aux Urgences pour leur demander de me sortir le compte-rendu médical, j'aurais dû demander sur place. C'est ballot hein ? Comme si j'allais retourner embêter des gens aux Urgences (tout est dans le nom) pour 50 $ de médicaments... Si ça vous arrive, soyez plus habile que moi et pensez à demander ledit compte-rendu.

...Et alors, au final, ce pouce ?

Bah, après une semaine de traitement, il a dégonflé et il est redevenu pliable. Maintenant j'ai mal à une dent de sagesse. La semaine prochaine sur vos écrans "Combien coûte une extraction dentaire à Toronto" !